Étiquettes
arbitraire, Conseil Supérieur de la Langue Française, dysorthographie, Langue, le bruissement de la langue, liberté, orthographe, orthographe et savoir-vivre, Roland Barthes, subjectif, tracer
Voici un article (un peu) de fond (un peu) long sur l’orthographe. Je tiens à le dédicacer à Constance David, orthophoniste, à Laurent Dublanchy, Jean-Baptiste Diebold et Jean-Philippe Rathle, qui ont toujours eu la délicatesse et la bienveillance de regarder mes textes et de me signaler sans me juger les erreurs qu’ils pouvaient contenir. Ainsi qu’à tous ceux qui en me lisant ont eu la gentillesse de me corriger dans un esprit constructif, comprenant que ce que certains nomment étourderie pouvait parfois être une souffrance.
__________
Alors que j’écoute les informations, j’ai été heurté par une faute de français faite par l’un des commentateurs sportifs. Je me dis ce n’est pas grave, ce n’est pas un intellectuel. Mais alors cette classification sociale qui est opérée dans mon cortex frontal ( cf l’article Et si le savoir-vivre était une activité cérébrale ? https://usagesetconvenances.wordpress.com/2014/01/14/neuropsy-addictions-et-savoir-vivre/ ) est belle et bien l’expression non consciente d’une distanciation sociale, voire par là même d’une linguistique du politique.
Oui, mais voilà l’activité cérébrale est un mécanisme biologique, elle explique le comment de ce phénomène, mais pas le pourquoi. Il en va de même sur la question de l’orthographe. Alors que je lisais l’article de Julien Scavini, qui devient chroniqueur au Figaro, j’en suis sincèrement ravi pour lui, il s’excusait de son orthographe. Moi même régulièrement je suis contraint de préciser que je suis dysorthographique, pour atténuer la violence de certaines réactions, assimilant savoir-vivre, usages et convenances avec l’orthographe. Ainsi pour certaines personnes une bonne éducation implique un usage parfait de l’orthographe. Enfin notre propre langage est empreint de cette idée, puisque l’on commet une faute d’orthographe, alors que l’on devrait simplement faire une erreur orthographique. L’un véhiculant de la culpabilité, et une transgression consciente ou négligente d’une règle, quand l’autre rappelle l’humanité de l’erreur.
Mais alors pourquoi cela ? D’abord, il y a l’idée, judéo-chrétienne, Errare humanum est, perseverare diabolicum » que laisser passer tant d’erreurs est nécessairement une volonté diabolique de perversion de la langue française. Mais pourquoi dans d’autres langues est-on moins attaché à ces règles ? Ou, de même pourquoi au XVIIIe, au temps de l’Ancien Régime, l’orthographe était libre, au point que les noms propres n’ont toujours pas d’orthographe fixée ? Enfin, pourquoi dans un pays contemporain comme la Suède, où la prestigieuse académie des Nobels sévit, l’orthographe de la langue ni ne compte ni n’est figée ?
C’est au détour de l’une de mes lectures que des pistes possibles de réponses me sont apparues. Dans ses essais critiques IV, le linguiste et penseur Roland Barthes nous éclaire. En effet dans Le Bruissement de la Langue ( éd. Du Seuil, 1984) Il précise qu’en 1835, un règlement de l’Académie Française fixe l’orthographe de la langue. Or « depuis 1835, l’orthographe de l’Académie à valeur de loi, aux yeux même de l’État ; dès les premières études du jeune Français, la faute d’orthographe » est sanctionnée » et l’auteur de ces mots de se demander, «combien de vies ratées pour quelques fautes d’orthographe ! » (Ibid. in Accordons la Liberté de tracer p. 57) Ce faisant, l’orthographe devient instrument social de domination et d’exclusion. Elle est alors politique. Désormais il y aura ceux qui maîtrisent l’orthographe, la bonne orthographe et par là même appartiendront à la « bonne société » ( ibid. p.125) et les autres les déviants de l’orthographe, qui au mieux, appartiendront au XIXe au monde des débiles, ou des petites gens, ce qui dans la doctrine politique de l’époque revient au même dans l’esprit des dominants, et ceux qui s’infèrent diaboliquement dans leurs erreurs, qui osent, contredire la doctrine libérale, connaissant alors son apogée, qui veut que chacun puisse s’en sortir et doivent le faire pour le bien général. La porté politique est renforcée par la création en 1989 du Conseil Supérieur de la Langue Française, présidé par le premier Ministre, et dont on trouve des informations dans la rubrique politique de la langue du ministère de la culture.
Ainsi en proposant un blog sur les usages et convenances, je ne peux que me tenir du côté du pouvoir du langage ( cf tant la division du langage chez Barthes, que la notion de discours encratique) or si je suis déviant, alors c’est que seule la maladie, la dysorthographie, peut m’excuser, ou alors pire, c’est que je suis un imposteur.
Car en somme, comme le précise Roland Barthes ce qui dérange, c’est que « les déviances (par rapport à un code ici une grammaire, à une norme) sont toujours des manifestations d’écriture : là où la règle se transgresse, là apparaît l’écriture comme excès, puisqu’elle prend en charge un langage qui n’était pas prévu » (ibid. p. 217).
Or c’est cet imprévu qui dérange, cet excès de jouissance qui transparait dans l’erreur orthographique qui heurte tant la norme, qu’elle en devient une faute. Une faute d’autant plus grave qu’elle contrevient à l’objectivité de la norme, érigée par la modernité et l’esprit post révolutionnaire comme le seul recours contre l’arbitraire bien trop souvent confondu avec le subjectif. Si les mathématiques sont nécessaires, ces normes orthographiques seront désormais la seule possibilité d’existence de l’esprit moderne. Or comme le rappelle Roland Barthes, l’orthographe est per se arbitraire, le fameux : « c’est comme ça ! » à la question, « pourquoi quatre et caille » s’écrivent ainsi alors qu’originairement ils ont la même initiale, les enseignants répondraient « c’est ainsi » ou « parce que ! » Sans en donner l’explication. Or si un historien de la langue pouvait alors doctement nous en donner le sens, analogique, étymologique, ou fonctionnel, cela n’en est pas pour autant raisonnable, « et lorsque l’ensemble de cette déraison est imposé, par voie d’éducation à tout un peuple elle devient coupable. Ce qui est coupable n’est pas le caractère arbitraire de notre orthographe, ce qui est choquant, ce que l’arbitraire, soit légal. » (p.57)
Ce qu’il l’est alors, c’est l’instrumentalisation exclusive de ces normes dans le but de maintenir la domination d’un groupe sur un autre. Ceux qui connaissent les règles, et qui peuvent légitiment en France pointé publiquement la faute, puisqu’adoubé par le premier ministre, et les autres, « les gueux, les maigres… » (Gontrand-Damas) les exclus en somme. Et c’est là où la question du savoir-vivre revient, car en somme il s’agit de la prescription d’un groupe qui détiendrait les codes sur un autres, prescription qui est comportemental. Mais à la différence de l’arbitraire orthographique tel que Barthes en parle, celui des lois et des prescription parfois, il y a bien souvent ainsi qu’Elias l’a démontré dans le savoir-vivre quelque chose d’autre, de l’ordre de la domination des pulsions, quelque chose du sur-moi et quelque chose de l’ordre des processus de civilisation…
Alors, si par hasard, chers lecteurs, vous en êtes arrivés jusque là et que vous avez perçu des erreurs d’orthographe, je vous invite à me les signaler, non par goût de l’arbitraire, mais par respect pour la subjectivité de chacun !